[ Pobierz całość w formacie PDF ]

le sang et ravive le feu. Qui voudrait d'une couronne olympique si on la
gagnait sans peine ? Personne n'en voudrait. Oui voudrait jouer aux cartes
sans risquer jamais de perdre ? Voici un vieux roi qui joue avec des
courtisans ; quand il perd, il se met en colère, et les courtisans le savent bien ;
depuis que les courtisans ont bien appris à jouer, le roi ne perd jamais. Aussi
voyez comme il repousse les cartes. Il se lève, il monte à cheval ; il part pour
la chasse ; mais c'est une chasse de roi, le gibier lui vient dans les jambes ; les
chevreuils aussi sont courtisans.
J'ai connu plus d'un roi. C'étaient de petits rois, d'un petit royaume ; rois
dans leur famille, trop aimés, trop flattés, trop choyés, trop bien servis. Ils
n'avaient point le temps de désirer. Des yeux attentifs lisaient dans leur
pensée. Eh bien ces petits Jupiters voulaient malgré tout lancer la foudre ; ils
inventaient des obstacles ; ils se forgeaient des désirs capricieux, changeaient
comme un soleil de janvier, voulaient à tout prix vouloir, et tombaient de
l'ennui dans l'extravagance. Que les dieux, s'ils ne sont pas morts d'ennui, ne
vous donnent pas à gouverner de ces plats royaumes ; qu'ils vous conduisent
par des chemins de montagnes ; qu'ils vous donnent pour compagne quelque
bonne mule d'Andalousie, qui ait les yeux comme des puits, le front comme
une enclume, et qui s'arrête tout à coup parce qu'elle voit sur la route l'ombre
de ses oreilles.
22 janvier 1908
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 103
Propos sur le bonheur (1928)
XLVII
Aristote
15 septembre 1924
Retour à la table des matières
Faire et non pas subir, tel est le fond de l'agréable. Mais parce que les
sucreries donnent un petit plaisir sans qu'on ait autre chose à faire qu'à les
laisser fondre, beaucoup de gens voudraient goûter le bonheur de la même
manière, et sont bien trompés. On reçoit peu de plaisir de la musique si l'on se
borne à l'entendre et si on ne la chante point du tout, ce qui faisait dire à un
homme ingénieux qu'il goûtait la musique par la gorge, et non point par
l'oreille. Même le plaisir qui vient des beaux dessins est un plaisir de repos, et
qui n'occuperait pas assez, si l'on ne barbouillait soi-même, ou si l'on ne se
faisait une collection ; ce n'est plus seulement juger, c'est rechercher et
conquérir. Les hommes vont au spectacle et s'y ennuient plus qu'ils ne veulent
l'avouer ; il faudrait inventer, ou tout au moins jouer, ce qui est encore
inventer. Chacun a souvenir de ces comédies de société, où les acteurs ont tout
le plaisir. Je me souviens de ces heureuses semaines où je ne pensais qu'à un
théâtre de marionnettes ; mais il faut dire que je taillais l'usurier, le militaire,
l'ingénue et la vieille femme dans des racines, avec mon couteau ; d'autres les
habillaient ; je ne sus rien des spectateurs ; la critique leur était laissée, plaisir
maigre, mais encore plaisir par le peu qu'ils inventaient. Ceux qui jouent aux
cartes inventent continuellement et modifient le cours mécanique des
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 104
événements. Ne demandez pas à celui qui ne sait point jouer s'il aime le jeu.
La politique n'ennuie point dès que l'on sait le jeu ; mais il faut l'apprendre.
Ainsi en toutes choses ; il faut apprendre à être heureux.
On dit que le bonheur nous fuit toujours. Cela est vrai du bonheur reçu,
parce qu'il n'y a point de bonheur reçu. Mais le bonheur que l'on se fait ne
trompe point. C'est apprendre, et l'on apprend toujours. Plus on sait, et plus on
est capable d'apprendre. D'où le plaisir d'être latiniste, qui n'a point de fin,
mais qui plutôt s'augmente par le progrès. Le plaisir d'être musicien est de
même. Et Aristote dit cette chose étonnante, que le vrai musicien est celui qui
se plaît à la musique, et le vrai politique celui qui se plaît à la politique. « Les
plaisirs, dit-il, sont les signes des puissances. » Cette parole retentit par la
perfection des termes qui nous emportent hors de la doctrine ; et si l'on veut
comprendre cet étonnant génie, tant de fois et si vainement renié, c'est ici qu'il
faut regarder. Le signe du progrès véritable en toute action est le plaisir qu'on
y sait prendre. D'où l'on voit que le travail est la seule chose délicieuse, et qui
suffit. J'entends travail libre, effet de puissance à la fois et source de puis-
sance. Encore une fois, non point subir, mais agir.
Chacun a vu de ces maçons qui se construisent une maisonnette à temps
perdu. Il faut les voir choisir chaque pierre. Ce plaisir est dans tout métier, car
l'ouvrier invente et apprend toujours. Mais, outre que la perfection mécanique
apporte l'ennui, c'est un grand désordre aussi quand l'ouvrier n'a point de part
à l'Suvre, et toujours recommence, sans posséder ce qu'il fait, sans en user
pour apprendre encore. Au contraire, la suite des travaux et l'Suvre promesse
d'Suvre est ce qui fait le bonheur du paysan, j'entends libre et maître chez lui.
Toutefois il y a grande rumeur de tous contre ces bonheurs qui coûtent tant de
peine, et toujours par la funeste idée d'un bonheur reçu que l'on goûterait . Car
c'est la peine qui est bonne, comme Diogène dirait ; mais l'esprit ne se plaît
point à porter cette contradiction ; il faut qu'il la surmonte, et, encore une fois,
qu'il fasse plaisir de réflexion de cette peine-là.
15 septembre 1924
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 105
Propos sur le bonheur (1928)
XLVIII
Heureux agriculteurs
28 août 1922
Retour à la table des matières
Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s'il est libre,
la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le
travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience, comme
d'un menuisier qui fait une porte. Mais il y a de la différence si la porte qu'il
fait est pour son propre usage, car c'est alors une expérience qui a de l'avenir ;
il, pourra voir le bois à l'épreuve, et son Sil se réjouira d'une fente qu'il avait
prévue. Il ne faut point oublier cette fonction d'intelligence qui fait des
passions si elle ne fait des portes. Un homme est heureux dès qu'il reprend des
yeux les traces de son travail et les continue, sans autre maître que la chose,
dont les leçons sont toujours bien reçues. Encore mieux si l'on construit le
bateau sur lequel on naviguera ; il y a une reconnaissance à chaque coup de
barre, et les moindres soins sont retrouvés. On voit quelquefois dans les
banlieues des ouvriers qui se font une maison peu à peu, selon les matériaux
qu'ils se procurent et selon le loisir ; un palais ne donne pas tant de bonheur ;
encore le vrai bonheur du prince est-il de faire bâtir selon ses plans ; mais
heureux par-dessus tout celui qui sent la trace de son coup de marteau sur le
loquet de sa porte. La peine alors fait justement le plaisir ; et tout homme
préférera un travail difficile, où il invente et se trompe à son gré, à un travail
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 106
tout uni, mais selon les ordres. Le pire travail est celui que le chef vient
troubler ou interrompre. La plus malheureuse des créatures est la bonne à tout
faire, quand on la détourne de ses couteaux pour la mettre au parquet ; mais
les plus énergiques d'entre elles conquièrent l'empire sur leurs travaux, et ainsi
se font un bonheur.
L'agriculture est donc le plus agréable des travaux, dès que l'on cultive son
propre champ. La rêverie va continuellement du travail aux effets, du travail
commencé au travail continué ; le gain même n'est pas si présent ni si
continuellement perçu que la terre elle-même, ornée des marques de l'homme.
C'est un plaisir démesuré que de charroyer à l'aise sur des cailloux que l'on a
mis. Et l'on se passe encore bien des profits si l'on est assuré de travailler
toujours sur le même coteau. C'est pourquoi le serf attaché à la terre était
moins serf qu'un autre. Toute domesticité est supportée, dès qu'elle a pouvoir
sur son propre travail et certitude de durée. En suivant ces règles, il est facile [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

  • zanotowane.pl
  • doc.pisz.pl
  • pdf.pisz.pl
  • lastella.htw.pl
  •