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imagination du tout ; ce ne serait qu'une impression colorée sans situation et
sans forme. À mesure que l'on tend à réduire les images à des phénomènes du
corps humain, on se guérit de l'imagination. Qu'est-ce qu'imaginer un fantô-
me, sinon le voir en un lieu, et se. représenter par quels mouvements on le
toucherait ? Faute d'avoir assez réfléchi là-dessus, nos philosophes d'occasion
décrivent une imagination seulement visuelle, une autre seulement auditive,
une autre seulement tactile, et, des types d'hommes qui y correspondent, sans
que ces recherches conduisent bien loin. Il n'est pas facile d'apercevoir que
toute image visuelle, puisqu'elle enferme toujours relief et distance, enferme
par cela même un certain commentaire des muscles. Il fallait donc s'attendre à
des réponses ambiguës ou trop complaisantes. Et, pour tout dire là-dessus, il
n'y a point d'images, il n'y a que des objets imaginaires. Cet exemple montre
bien que la réflexion doit précéder, ici les recherches et les éclairer toujours.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 46
Cette réserve faite, il est permis d'examiner comment nous imaginons par
chacun de nos sens. Pour lé goût et l'odorat il y a sans doute peu de chose à
dire, sinon que les objets réels, fournissent moins de matière à l imagination
que ne font les réactions du corps, surtout involontaires comme sont les mou-
vements de nausée. Et aussi que l'imagination par les autres sens détermine
souvent celle-là; chacun sait que l'aspect d'un mets d'ailleurs agréable au goût
peut le faire paraître mauvais par anticipation. Il arrive aussi quelquefois
qu'une sensibilité plus raffinée ou aiguisée par la maladie fasse apparaître des
odeurs ou des saveurs ordinairement très faibles ; ainsi l'imagination se trouve
vraie, mais à notre insu. Et au, reste il n'y a point d'imagination qui ne soit
vraie en quelque façon ; car l'univers ne cesse jamais d'agir sur nous de mille
manières, et nous n'avons sans doute pas de rêve, si extravagant qu'il soit, dont
quelque objet réel ne soit l'occasion. Imaginer ce serait donc toujours perce-
voir quelque chose, mais mal.
Ce même caractère n'est pas moins sensible pour l imagination visuelle,
quoiqu'on n'y pense pas toujours assez. Il est clair que les nuages, ou les
feuillages épais ou encore les lignes confuses et entre-croisées d'un vieux
plafond ou d'un papier de tenture sont fort propres à nous faire imaginer des
têtes d'hommes ou des monstres. Chacun sait que le demi-jour et le jeu des
ombres, comme aussi une lumière trop vive, produisent le même effet. Les
fumées et le feu sont favorables aussi aux rêveurs.
Il faut décrire maintenant ce que nos propres yeux fournissent à nos
rêveries, surtout lorsqu'ils sont fermés. Chacun peut, en fermant vivement les
yeux, observer l'image d'un objet fortement éclairé, ce qui n'est qu'un ébran-
lement continué, ou bien une image négative avec couleur complémentaire, ce
qui est un effet de fatigue. Et sans doute notre rétine n'est-elle; jamais par-
faitement au repos ; les pressions, les excitations électriques y font apparaître
des lueurs, comme chacun le sait. Et les grands liseurs connaissent ces houppe
colorées et changeantes qui sont sans doute la première trame de nos rêves.
J'ai vu plusieurs fois, dans les instants qui précèdent le sommeil, ces formes
mobiles se transformer en images d'hommes ou de maisons, mais il faut de
l'attention et une critique éveillée pour apercevoir ces choses. Les passionnés
aiment mieux dire qu'ils voient les images des choses à l'intérieur d'eux-
mêmes, sans vouloir expliquer ce qu'ils entendent par là. Selon mon opinion,
toute image visuelle est extérieure à moi et extérieure à elle-même, par sa
nature d'image. Et la forêt où je me promène en rêve n'est pas dans mon
corps ; mais c'est mon corps qui est en elle. Que faites-vous, dira-t-on, des
yeux de l'âme ? Mais les yeux de l'âme, ce sont mes yeux.
Il faut considérer enfin l'effet de mes propres mouvements, évidemment de
première importance quand j'imagine le mouvement des choses. Le moindre
mouvement de ma tête fait mouvoir toutes choses. Ajoutons que mon
mouvement est propre à brouiller les images, et que le clignement des yeux
fait revivre les images complémentaires, comme chacun peut s'en assurer.
Mais le fait le plus important est ici le geste des mains, qui dessine devant nos
yeux la chose absente, et naturellement surtout le dessin et le modelage, qui
fixent nos rêves en objets véritables. Je ne considère ici que le crayon errant,
qui nous étonne nous-mêmes par ses rencontres. Ainsi nous sommes ramenés
à l'idée principale de ce chapitre, c'est que nous n'inventons pas autant qu'on
pourrait croire. Il m'est arrivé plus d'une fois de me dire : j'imagine en ce
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 47
moment un rouge vif, et d'apercevoir dans l e même instant la bordure rouge
d'un cahier devant moi.
Les mêmes choses sont à dire, et mieux connues peut-être, de l'imagina-
tion auditive. D'abord que tous les bruits confus, du vent, de la cascade, d'une
voiture, d'une foule, font des paroles et des musiques. La marche d'un train
nous propose un rythme. Il faut dire aussi que la respiration et le battement du
sang agissent sur nos oreilles et y produisent des bourdonnements, sifflements,
tintements. Surtout nous parlons, chantons et dansons, ce qui fixe les images
auditives et en appelle d'autres. N'entrons point ici dans l'étude de l'inspiration
musicale. Disons seulement que, dans les rêves, les voix que nous croyons
entendre sont sans doute souvent notre voix même, les cris, nos propres cris,
les chants, nos propres chants. Avec cela nous battons des rythmes par le
souffle, les muscles, le sang. Voilà des symphonies toutes faites.
Il reste à traiter du toucher. Et ce n'est pas difficile. Car premièrement les
choses ne cessent jamais d'agir sur nous, par froid et chaud, souffle, pression,
frottement. En second lieu notre toucher est continuellement modifié par les
mouvements de la vie, par fatigue, crampes, fièvre, lésion. Nous croyons
sentir des pincements, des torsions, des vrilles, des scies. Ou bien encore, nous
imaginons des liens autour de la poitrine, une main brutale à notre gorge, un
poids écrasant sur nous. Et enfin nos mouvements légers ou vifs nous donnent
des impressions bien réelles. Un homme qui rêve qu'il se bat peut se donner
des coups de poing. Il peut se lier les bras, se heurter contre un mur, se raidir,
se tordre. Telle est la source de nos rêveries les plus tragiques ; et nous ne le
soupçonnons point. Mais nous touchons ici aux passions. Ample matière, et
l'on ne peut tout dire à la fois.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 48
Livre I : De la connaissance par les sens
Chapitre XII
De l'association d'idées
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La suite de nos pensées est réglée communément sur les objets qui se
présentent à nous. Mais comme on l'a vu, ces objets ne sont perçus qu'après
nombre d'essais, d'esquisses et de suppositions ; cet homme là-bas, j'ai cru
d'abord que c'était le facteur; cette voiture, que c'était celle du boucher, cette
feuille au vent, que c'était un oiseau. Ainsi chacune de nos perceptions ter-
mine une recherche rapide, un échafaudage de perceptions fausses et mal [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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