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Cependant à l'intérieur de ces humbles chaumières, au pied de ces montagnes couvertes de neige, où la
lumière ne vient que tardivement et où la main de l'homme semble plutôt l'exclure que la rechercher, la paix
et le contentement qui accompagnent une vie honnête pourraient, devraient trouver un asile, si la nature seule
y faisait sentir sa misère ; le poids du despotisme peut être plus lourd encore. Par instants la vue est
pittoresque et agréable, des enclos s'attachent aux parois de la montagne, comme un tableau fixé au mur d'une
chambre. Les gens sont en général mortellement laids et de petite taille. La Chambre, triste dîner, couché à
Aiguebelle. 30 milles.
JOURNAL 120
Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789
Le 24. Aujourd'hui le pays devient bien meilleur, nous approchons de Chambéri, les montagnes
s'éloignent, tout en gardant leur hauteur imposante, les vallées s'élargissent, les versants se cultivent, et près
de la capitale de la Savoie, de nombreuses maisons de campagne animent cette scène. Au-dessus de
Mal-Taverne se trouve Châteauneuf, résidence de la comtesse de ce nom. Je fus indigné de voir au village un
carcan avec une chaîne et un collier de fer, signe de l'arrogance seigneuriale de la noblesse et de la servitude
du peuple. Je demandai pourquoi il n'avait pas été brûlé avec l'horreur qu'il méritait. Cette question n'excita
pas la surprise comme je m'y attendais, et comme elle l'aurait fait avant la révolution française. Ceci amena
une conversation dans laquelle j'appris qu'en haute Savoie il n'y a pas de seigneurs ; les gens y sont en général
à leur aise, ils ont quelques petites propriétés, et, malgré la nature, la terre y est presque aussi chère que dans
le pays bas, où les gens sont pauvres et malheureux. « Pourquoi ? Parce qu'il y a partout des seigneurs. »
Quel malheur que la noblesse, au lieu d'être le soutien, la bienfaitrice de ses pauvres voisins, devienne son
tyran par ces exécrables droits féodaux ! N'y a-t-il donc que les révolutions qui, en brûlant ses châteaux, la
force à céder à la violence ce qu'elle devrait accorder à la misère et à l'humanité ? Nous nous étions arrangés
de manière à arriver de bonne heure à Chambéri, pour visiter le peu qu'il y a de curieux. C'est le séjour d'hiver
de presque toute la noblesse savoyarde. Le plus beau domaine du duché ne donne pas au delà de 60,000 liv.
de Piémont ( 3,000 l. st. ), mais on vit ici en grand seigneur pour 20,000 liv. Un gentilhomme qui n'a que 150
louis de revenu veut passer trois mois à la ville ; pour y faire pauvre figure, il doit donc mener une misérable
vie pendant les neuf mois de campagne. Les oisifs voient leur Noël manquée, la cour n'a pas permis l'entrée
de la troupe ordinaire de comédiens français, craignant qu'ils n'apportassent avec eux, à ces rudes
montagnards, l'esprit de liberté de leur pays. Est-ce faiblesse, est-ce bonne politique ? Chambéri avait pour
moi des objets plus intéressants. Je brûlais de voir les Charmettes, le chemin, la maison de madame de
Warens, la vigne, le jardin, tout, en un mot, de ce qui a été décrit par l'inimitable plume de Rousseau. Il y
avait dans madame de Warens quelque chose de si délicieusement aimable, en dépit de ses faiblesses ; sa
gaieté constante, son égalité d'humeur, sa tendresse, son humanité, ses entreprises agricoles, et plus que tout,
l'amour de Rousseau, ont gravé son nom parmi le petit nombre de ceux dont la mémoire nous est chère, par
des raisons plus aisées à sentir qu'à expliquer. La maison est à un mille environ de Chambéri, faisant face au
chemin rocailleux qui mène à la ville et à la châtaigneraie, située dans la vallée. Elle est petite, semblable à
celle d'un fermier de cent acres, sans prétentions, en Angleterre : le jardin pour les fleurs et les arbustes est
très simple. Le tableau plaît, on aime à se savoir près de la ville sans la sentir en rien, comme Rousseau l'a
décrit. Il ne pouvait que m'intéresser et je le vis avec la plus grande émotion, il me souriait même avec la
triste nudité de décembre. Je m'égarai sur ces collines où Rousseau s'était certainement promené et qu'il avait
peintes de couleurs si agréables. En retournant à Chambéri, mon coeur était plein de madame de Warens.
Nous avions dans notre compagnie un jeune médecin, M. Bernard de Modane en Maurienne, homme de
bonnes manières, ayant des relations à Chambéri ; je fus fâché de le voir ignorant de tout ce qui concernait
madame de Warens, excepté sa mort. En me remuant un peu, j'obtins le certificat suivant :
Extrait du registre mortuaire de l'église paroissiale de Saint-Pierre de Lemens.
« Le 30 juillet 1762 a été inhumée, dans le cimetière de Lemens, dame Louise-Françoise-Éléonore de la
Tour, veuve du seigneur baron de Warens, native de Vevey, canton de Berne, en Suisse ; morte hier, à dix
heures du soir, en bonne chrétienne et munie des derniers sacrements de l'Eglise, à l'âge de 63 ans. Elle avait
abjuré la religion protestante il y a trente-six ans, persévérant depuis dans la nôtre. Elle a fini ses jours au
faubourg de Nesin, où elle vivait depuis environ huit ans, dans la maison de M. Crépine. Elle avait demeuré
auparavant pendant quatre ans au Rectus, dans la maison du marquis d'Allinge. Elle n'avait pas quitté cette
ville depuis son abjuration. »
« Signé : GAIME, RECTEUR DE LEMENS. »
« Je soussigné, recteur actuel de la paroisse dudit Lemens, certifie que ceci est un extrait fait par moi, du
registre mortuaire de l'église dudit lieu, sans y avoir ajouté ou retranché quoi que ce soit, et, après l'avoir
colligé, je l'ai trouvé conforme à l'original. En foi de quoi j'ai signé les présentes à Chambéri, ce vingt-quatre
JOURNAL 121
Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789
décembre 1789.
Signé : A. SACHOD, RECTEUR DE LEMENS. »
Le 20 Quitté Chambéri avec le regret de ne pas le connaître davantage. Rousseau fait une agréable
peinture du caractère de ses habitants, [ « S'il est une petite ville au monde où l'on goûte la douceur de la vie
dans un commerce agréable et sûr, c'est Chambéri. » ] j'aurais voulu pouvoir l'apprécier. Voici la pire journée
qu'il y ait eu pour moi depuis bien des mois : un dégel glacial accompagné de pluie et de neige fondue ;
cependant à cette époque de l'année où la nature laisse à peine paraître un sourire, les environs étaient
charmants ; les vallées, les collines se mêlent dans une telle confusion, que l'ensemble est assez pittoresque
pour accompagner une scène du désert, et assez adouci par la culture et les habitations pour produire une
beauté enchanteresse. Tout le pays est enclos jusqu'à Pont-de-Beauvoisin, première ville de France où nous
nous arrêtâmes pour dîner et passer la nuit. Le passage des Echelles, taillé dans le roc par le duc de Savoie,
est un superbe et prodigieux ouvrage. A Pont, nous entrons de nouveau dans ce noble royaume, et nous
revoyons ces cocardes de liberté et ces armes dans les mains du peuple, qui, nous l'espérons, ne serviront qu'à
maintenir la paix du pays et celle de l'Europe. 24 milles.
Le 26. Dîné à Tour-du-Pin, couché à Verpilière ( la Verpillière ). Cette entrée est, sous le rapport de la
beauté, la plus avantageuse pour la France. Que l'on vienne d'Espagne, d'Angleterre, des Flandres ou de
l'Italie par Antibes, rien n'égale ceci. Le pays est réellement magnifique, bien planté, bien enclos et paré de
mûriers et de quelques vignes. On n'y trouve à redire que pour les maisons, qui, au lieu d'être blanches et bien
bâties comme en Italie, sont des huttes de boue, couvertes en chaume, sans cheminées, la fumée sortant ou
par un trou dans le toit ou par les fenêtres. Le verre semble inconnu, et ces maisons ont un air de pauvreté qui
jure avec l'aspect général de la campagne. En sortant de Tour-du-Pin, nous avons vu de grands communaux.
Passé par Bourgoin, ville importante. Gagné Verpilière. Ce pays est très accidentés très beau, bien planté et
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